Galerie Mathieu Néouze, Paris ;

Acquis auprès de cette dernière par l'actuel propriétaire ;

Collection particulière, Paris

Artiste précoce, Élisabeth Sonrel commence à se former auprès de son père, le peintre tourangeau Stéphane Sonrel, avant de poursuivre son apprentissage dans l'atelier de Jules Lefebvre à l'Académie Julian à Paris, d’où elle sort diplômée en 1892. Dès l’année suivante, l'artiste expose au Salon de grandes aquarelles ainsi que des toiles représentant des figures féminines idéalisées dans un certain esprit préraphaélite qui traduisent son allégeance aux maîtres de la première Renaissance italienne, Botticelli en particulier, qu’elle avait pu admirer lors d’un séjour à Rome et Florence.

Figurant le profil de saint Jean-Baptiste, notre remarquable dessin illustre avec éclat la manière très personnelle d’Élisabeth Sonrel, où se mêlent l’exactitude du trait, une profonde délicatesse mystique et un sens aigu du symbolisme décoratif. L’œuvre frappe d’emblée par la rigueur frontale de son sujet : une tête juvénile auréolée, modelée avec un raffinement extrême, se détache au cœur d’un halo circulaire, comme suspendue hors du temps. Dans ce visage, Sonrel condense la gravité silencieuse du Précurseur. Le front lisse, la bouche fermée, le regard tourné vers un point invisible confèrent à l’ensemble une intériorité puissante. Le crayon noir, finement hachuré, sculpte les volumes avec une patience presque orfévrée, tandis que l’estompe adoucit les transitions, enveloppant les plans d’une lumière laiteuse. La chevelure, dense et souple, se déploie en boucles sombres rendant sensible l’intensité charnelle du modèle, contrepoint de la spiritualité du sujet. Ce visage sacré surgit d’un fond travaillé au lavis d’encre de Chine, où des éclats sombres émergent en taches fluides, volontaires ou nourries de hasard, comme pour conférer à l’image une profondeur atmosphérique singulière, telle une vision apparaissant dans un brouillard mystique. Leur présence, à la limite du décoratif, crée une tension entre réalité et apparition, thème cher à l’artiste. Le dessin adopte une forme cintrée en partie supérieure, rappelant les cadres des retables gothiques ou les verrières médiévales, et accentuant encore l’impression de sacralité. Par ce dispositif, Élisabeth Sonrel transfigure un simple portrait en effigie liturgique, un visage-icône irradiant d’une lumière intérieure, témoignant de l’influence conjuguée du préraphaélitisme et du symbolisme français. Comme chez Burne-Jones ou Luc-Olivier Merson, le spirituel s’incarne dans une beauté épurée de tout effet, mais vibrant d’une émotion contenue, d’un rare mélange de douceur humaine et d’élévation mystique.