Toute première lettre connue à son père. [Le jeune Charles, âgé de 17 ans, est alors élève au collège jésuite du Sacré-Cœur d’Antoing en Belgique.]
Il remercie son « cher Papa » de ses souhaits « pour mes dix-sept ans. […] Les deux francs que vous aviez joints à votre lettre ont, comme de juste, été les bienvenus. » Son frère Jacques est « remis de sa récente indisposition. Elle n’a pas eu pour cause a dit le médecin un excès de travail, mais un prosaïque dérangement d’estomac. D’ailleurs, j’ai toujours été persuadé que le travail même très consciencieux d’un élève de Rhétorique, intelligent comme Jacques, n’a rien de surmenant. Vous savez bien aussi qu’il n’est pas précisément porté à se forcer quand il ressent de la fatigue. Il ne faut pas non plus s’exagérer le chagrin qu’il éprouve à son peu de succès présent en Mathématiques. C’est encore absolument un enfant, et pour peu qu’on lui parle d’autre chose ou qu’il joue au ballon, il n’y pense plus du tout. Au reste, il commence à aller mieux en Mathématiques. Cette semaine, il a récité deux fois sa leçon par écrit et a eu un 5 et un 6. Pour cette dernière leçon, on leur avait demandé le volume du segment sphérique : il le savait bien mais n’a pas eu absolument le temps de finir, car il n’est pas prompt du tout. Néanmoins, avec la façon dont cote son professeur, 6 n’est pas une mauvaise note. 2 élèves seulement ont eu plus que Jacques, l’un a eu 10, l’autre 8. Plusieurs ont eu moins de 6. […] Il y a cependant un certain progrès sur la dernière fois. Mais il n’a eu comme note de lettres que 9 de latin et 9 de français. Cela tient à ce qu’il ne sait pas suffisamment ses leçons. […]
Quant à moi, j’ai eu cette semaine un grand malheur. Dans la composition de mathématiques que nous avons faite le mercredi 20, j’ai été douzième. Cette composition portait sur l’algèbre que je savais très bien, mais le Père Vitterant a demandé entre autres choses un certain théorème relatif à la résolution d’un système d’équations du premier degré à deux inconnues, sous un titre très ambigu. Et moi, maladroit, j’en ai démontré un autre. C’était d’autant plus vexant que je savais parfaitement bien le théorème qu’il avait demandé. Sur cinq questions j’en avais réussi quatre, ce qui fait qu’au lieu d’avoir un 16 j’ai eu un 12, et comme les 15 premiers se suivent toujours d’extrêmement près j’ai eu tout de suite une très mauvaise place.
Et puis, comme décidément la Fortune n’était pas avec moi durant ce mois-ci, je viens d’être second en Physique et Chimie et naturellement avec la même note que le premier. […] Il n’en est d’ailleurs pas de même du tout pour les Mathématiques. […] Nous avons fini l’Algèbre jeudi dernier, sauf les dérivées et les variations des fonctions que nous ne verrons qu’au cours du prochain trimestre. J’ai été surtout satisfait de pouvoir apprendre à fond les progressions, les théorèmes sur les logarithmes, les intérêts composés, les annuités. Nos devoirs de cette semaine consistaient exclusivement en annuités, dettes, taux, capitaux, etc., à calculer par logarithmes. […] Nous sommes actuellement plongés dans le troisième livre de Géométrie. Ce sera notre chant du cygne avant le classement du Jour de l’An »…
Lors d’une « bonne colle de mathématiques », il a passé une demi-heure au tableau à faire « une foule d’exercices sur le second degré, sur les progressions », mais a eu « un 13 seulement, ce qui était d’ailleurs la meilleure note. […] J’attribue cette note assez peu brillante à ce qu’il est beaucoup moins commode de trouver a priori des problèmes au tableau, que de donner une question de cours. »
Il fait « toujours beaucoup d’Histoire et d’Histoire naturelle, et surtout beaucoup d’allemand ».
La fin du trimestre approchant, il va revoir « bientôt toute la famille ».
On leur a lu « le récit des derniers combats qui ont eu lieu sur la frontière d’Algérie », où a été tué le lieutenant de Saint-Hilaire, cousin d’un de ses camarades…
Il signe : « Votre fils respectueux et affectionné Charles de Gaulle »
LNC, I, p. 15.