La marque MV du panneleur Michiel Vrient, actif entre 1605 et 1637, et les marques au feu des deux mains et du château d'Anvers sur le panneau au verso
Chinese porcelain cup with fruit and birds, oil on oak panel, by F. Snyders
17.32 x 25.39 in.
Vente anonyme ; Rouen, Me Fournier, 16 décembre 1984 (adjugé 400 000 Frs) ;
Galerie Gismondi, Paris, 1985 ;
Acquis auprès de cette dernière par l’actuel propriétaire ;
Collection particulière, Paris
Hella Robels, Frans Snyders. Stilleben- und Tiermaler (1579-1657), Munich, 1989, p. 263, n° 128
Peter Cherry, William B. Jordan, Spanish still life from Velazquez to Goya, New Haven, 1995, p. 48, ill.
William B. Jordan, Juan van der Hamen y Leon & The Court of Madrid, New Haven, Londres, 2006, p. 103, ill.
Abigail D. Newman, Painting Flanders Abroad. Flemish Art and Artists in Seventeenth-Century Madrid, Leyde, Boston, 2022, p. 124-125, fig. 70
Cette composition nous offre la quintessence de l'art de Snyders dans un format parfait, à la fois précieux et intime. La technique est exemplaire, la matière généreuse et riche maîtrisée par le peintre qui en exagère la brillance grâce à une miction riche en huile. Snyders se révèle dans ce panneau à la fois comme l'immense artiste que nous connaissons, mais aussi comme un peintre cette fois-ci confidentiel, maitrisant l'espace dans un petit format, la lumière, les mouvements, les fruits comme les animaux. Le détail des ailes de l’oiseau de gauche est si merveilleusement rendu qu’il nous offre l’impression que le volatile est prêt à s’évader du cadrage du tableau.
Le discours est plus complexe et subtil cependant qu’il n’y paraît : ces raisins appétissants posés dans une précieuse coupe en porcelaine de chine Wan-Li font allusion à la nature périssable des choses terrestres et les oiseaux sont au travail pour accélérer la course inexorable du temps. Ils sont entrés par la fenêtre. De l’extérieur vient la menace… L’un des quatre est encore en plein vol, bien décidé à conquérir son dû comme l’exprime son œil déterminé, quitte à créer la surprise chez son rival fièrement campé sur une poire. Un chardonneret se régale d’un grain de raisin dans l’angle inférieur droit, l’harmonie de son plumage rouge avec la nappe nous séduit. Voici une composition en apparence simple mais les détails, le traitement et le discours du peintre en font un véritable chef-d’œuvre.
Frans Snyders entre en 1593, à l'âge de 14 ans, dans l'atelier de Pieter Brueghel II. Maître en 1602, il se rend en Italie, à Rome puis à Milan, durant un voyage de deux années en 1608 et 1609. De retour à Anvers, il se spécialise dans les natures mortes et sa réputation s'étend rapidement, à tel point que Rubens fait appel à lui entre 1611 et 1616 pour collaborer à certaines de ses œuvres. Ayant épousé en 1611 Marguerite de Vos, sœur de Cornelis et de Paul de Vos, il influence considérablement ce dernier pour ses sujets animaliers. Membre de la Société des Romanistes à Anvers en 1619, il en devient le doyen en 1628. Snyders inventa ce type de scènes d’intérieur où les animaux occupent une place prépondérante. Dédiant sans doute de très nombreuses heures à l’observation des animaux qu’il représentait morts ou vivants, il employait le dessin pour étudier pelages et plumages d’une grande variété d’espèces. Port de premier plan dès le XVIe siècle, Anvers fut l’une des premières villes où l’on put admirer des animaux exotiques vivants et naturalisés. Si les espèces d’oiseaux ici représentées sont indigènes, la coupe en porcelaine reflète le commerce international et les richesses venant des confins du monde connu qui arrivaient à Anvers en ce début de XVIIe siècle.
Snyders s'impose comme l'un des peintres les plus importants et les plus reconnus de son époque, recevant de nombreuses commandes prestigieuses de la part des grands princes et des hauts dignitaires de l'empire Habsbourg, de Madrid à Bruxelles, de Vienne à Milan. Il faut bien comprendre les données géopolitiques et les logiques de marché à cette période pour analyser les influences dont les artistes peuvent bénéficier. Anvers est un pôle d’exportation de peintures très important en Europe. La gouvernance espagnole des Pays-Bas du Sud explique que Rubens, Paul de Vos ou Snyders sont très demandés par les Grands d’Espagne. Les maisons nobles de Castille à meubler sont de dimensions bien différentes de celles des bourgeois anversois. Ce sont des suites de dizaines et dizaines de très grands formats qui sont commandées à ces artistes qui – grâce à leur mode de production en atelier – peuvent répondre à d’importantes commandes, tant en volume qu’en montant financier. Diego Mexia Felipez de Guzman, marquis de Leganés (1582-1655) ne possédait pas moins de 58 tableaux de Snyders qu’il avait probablement acquis en grande partie durant les vingt années qu’il passa au service d’Albert VII dans les Pays-Bas espagnols. William B. Jordan1 explique l’influence de Snyders auprès des peintres de bodegon, précisément en utilisant notre panneau qui fut copié par Juan van der Hamen y Leon2 (fig.1). Sans que nous puissions le démontrer, il est très vraisemblable que notre panneau ait fait partie d’une collection espagnole en 1621 et qu’il y fut alors copié par Juan van der Hamen y Léon. Si l’on perçoit un exercice quelque peu contraint dans l’exécution du motif principal, l’espagnol se révèle un splendide paysagiste, surpassant ici le peintre flamand.
1 – cité supra
2 – Juan van der Hamen y Leon, Composition avec fruits et oiseaux, 1621, huile sur panneau, signé, 54,5 x 69,3 cm, Patrimoine national espagnol (10014637).