Chant de victoire après la bataille de la Marne.
« Voici donc que s’achève – et de quelle façon ! – la première partie de la campagne de la Revanche. L’ennemi, plus insolent que jamais de ses succès du début, voit sa volonté brisée et la nôtre s’imposer à lui ; il est contraint de fuir devant nos troupes. Nos morts de Montmirail, de La Fère Champenoise, de Craonne ont dû tressaillir dans leurs tombeaux comme le grenadier de Heine, en entendant le pas victorieux de nos soldats et le roulement terrible de nos canons. La France reprend conscience d’elle- même : elle l’avait perdue depuis ses désastres, et pour ceux-là surtout qui comme vous y avaient assisté, quelle immense, quelle indicible joie ! De tels moments éteignent dans un peuple les égoïsmes des individus, y embrasent l’esprit de sacrifice, en font jaillir à flots le courage, en faisant sentir à tous que nul ne vaut en dehors de la patrie. Et pourtant, gloire suprême et inattendue, la France célèbre son triomphe en silence, resserrant encore la discipline qu’elle s’impose ; telle une troupe mobile et bruissante à qui un chef commande : “Garde à vous !”
Et pourtant, il est manifeste que l’ennemi avait sur nous bien des avantages militaires : ils l’ont du reste servi au début. Stratégiquement il avait l’initiative des armements et en particulier de la mobilisation, il avait surtout cette décision prise d’avance de violer la neutralité belge avec presque toutes ses forces, décision que nous ne pouvions avoir sans la sienne ; décision qu’il fallait prévoir, mais que l’on pouvait également considérer comme une feinte. Cela a certes pesé d’un poids très lourd sur la répartition initiale de nos forces qui certes était défavorable. Enfin, lourde faute du gouvernement anglais ne se décidant à la guerre qu’à la toute dernière limite, et s’y trouvant très mal préparé au point de vue de son armée. Retard considérable des troupes anglaises sur ce qui était prévu et promis, et retard justement au point décisif à notre extrême gauche. Je ne parle pas de leur nombre bien modeste (70 000 hommes au plus) par rapport à ce que notre opinion publique espérait.
Au point de vue tactique, les Allemands se sont trouvés servis au début par l’excès de nos qualités. Sur tous nos champs de bataille du début l’infanterie a attaqué furieusement et d’ailleurs inconsidérément. D’autre part un commandement de corps d’armée et surtout de divisions et de brigades trop souvent vieilli, sans grande initiative et sans décision suffisante ne sut pas donner à l’artillerie et au génie les ordres qu’il fallait pour l’appuyer au moment voulu. D’où sur presque tous les points des pertes terribles et immédiates provoquant un très petit nombre de défaillances mais arrêtant surtout nos élans.
L’expérience cruelle une fois faite, notre armée était par ailleurs suffisamment instruite pour en profiter sur-le-champ. Le généralissime [Joffre] a tout de suite limité les frais en ne s’acharnant pas à la bataille décisive sur la Meuse. Il a choisi un nouveau terrain, échappé sans à-coups à l’étreinte ennemie et modifié complètement la disposition défectueuse de ses forces. D’autre part, sur la Marne, de l’avis de tous les blessés qui nous arrivent, le combat fut beaucoup mieux coordonné, l’offensive plus raisonnée, la liaison des armes meilleure. La victoire nous a souri aussitôt. L’ennemi ne pourra pas arrêter notre poursuite avant la Meuse et le Luxembourg au plus tôt, et nous aurons toute la gloire d’avoir, sans que les Russes nous aient été indispensables, battu dans la grande et décisive bataille l’armée qui se considérait comme la première du monde »…
LNC, I, p. 90.